Pierre Weill est chercheur et agronome. Auteur du best-seller « Tous gros demain ?» ou plus récemment « Mangez, on s’occupe du reste » aux éditions Plon, il travaille depuis plus de vingt ans sur les liens qui existent entre l’industrie alimentaire et la santé publique. Avant sa présence au congrès « Tous mutants demain » les 21 et 22 Novembre, Pierre Weill nous a ouvert sa porte et surtout sa réflexion sur notre santé et notre assiette.
Le propos de votre
livre est plutôt alarmant. Nous avons pris 10 kilos en 40 ans à cause du
mensonge… Pouvons-nous aller encore plus loin dans cette dérive ?
Pierre Weill : Non je ne pense pas. Je pense que le
plus dur est passé. Le lait maternel, qui est vraiment un des grands témoins de
l’alimentation de l’homme, a connu un Pic dans son rapport entre Oméga 3 et Oméga 6 en 2000 avec un chiffre de 22 au
lieu de 5. L’observatoire du lait maternel a fait une nouvelle étude qui montre
que ce rapport est redescendu à 15, ce qui n’est pas encore suffisant. Sur
l’alimentation, les industriels font un travail intéressant. Ils ont changé la
composition des margarines sans trop le dire. Entre 2006 où mon livre est sorti
et 2011 où il a été réédité dans une version anglaise, j’ai pu constater que
sur les étiquettes des produits, certains contenants de l’huile de palme avait
été remplacé par de l’huile de Colza. Ça ne veut pas dire que tout va bien,
mais il y a une prise de conscience discrète. Ils ne peuvent pas avouer nous
avoir empoisonnés pendant vingt ans (sourire)
Vous faites une
comparaison avec les hommes du Paléolithique et vous dites que le stockage des
graisses est un instinct de survie. Qu’est-ce que ça veut dire
précisément ?
Pierre Weill : Il y a des personnes qui peuvent manger tout
ce qu’elles veulent sans prendre un gramme. Ces personnes-là seraient mortes
aux premiers froids à l’époque du Paléolithique. A cette époque si on ne
stockait pas d’énergies sous la peau, pour peu que les Mammouths ne passaient
pas ou que le gèle durait trop longtemps, il n’y avait pas d’énergie. J’imagine
que ceux qui nous ont légué leur physiologie sont ceux qui ont survécu.
En même temps,
aujourd’hui, nous ne courons plus après les Mammouths et nous pouvons nous
réchauffer assez facilement. Alors qu’est ce qui nous fait stocker aujourd’hui,
notre alimentation ou le manque d’exercices ?
Pierre Weill : Les deux biens sûrs ! Lorsque l’on mange plus que ce que l’on dépense, nous avons forcément un excès d’énergie à stocker. Maintenant, la façon dont nous stockons ou nous brûlons est en rapport avec la qualité de ce que nous mangeons et non la quantité. Et souvent la thermochimie est plus importante que la biochimie, la quantité est plus importante que la qualité. Nous consommons tous un peu plus que nos besoins.
Le problème
viendrait-il du fait que nos corps ont conservé la même physiologie que nos
ancêtres sans en avoir la même vie ?
Pierre Weill : Tout ça a changé très vite ! Des paléo-nutritionnistes trouvent des maladies qu’on ne rencontrait pas au
Paléolithique. Mais nous nous sommes adaptés. Et ces mutations se sont fait sur
des milliers d’années. Alors que le grand changement alimentaire s’est fait sur
50 ans. Nous avions une alimentation diversifiée avec des fibres, pas trop de
sucre, des Oméga-3 et nous sommes passé à une assiette bourrée de calories
creuses, de sucres et d’Oméga-6. Et la rapidité avec laquelle tout s’est
transformé a créé des dégâts considérables. Pour des pays comme la Chine ou
l’Afrique cette transformation alimentaire s’est même faite en 10 ans. Ils
passent d’une alimentation traditionnelle à une alimentation industrialisée en
très peu de temps.
A vous écouter, nous
pourrions avoir l’impression que les technologies négatives, polluantes ou
néfaste à notre santé avancent très vite mais le retour en arrière ou la prise
de conscience demande beaucoup plus de temps ?
Pierre Weill : C’est vrai, on peut dire ça. Lorsque
l’industrialisation alimentaire met un fonctionnement en place, il est très
difficile de faire machine arrière. Par exemple la société alimentaire Unilever
savait très bien que les acides gras trans étaient toxiques jusqu’au jour où ils
ont su fabriquer des margarines sans acides gras trans. A partir de là, leur
discours a changé dans l’autre sens. A l’époque où l’on ne savait pas faire
autrement, il y avait un tel lobbying que les américains ne les auraient pas
interdit.
Vous nous apprenez
que les chasseurs cueilleurs à la préhistoire avaient plus de diversités
alimentaires que nous n’en avons aujourd’hui. Cela veut dire que nos sols et nos
cultures se sont appauvries ?
Pierre Weill : Le lien entre la qualité du sol, celle des
animaux et notre santé, c’est un sujet empirique. Notre alimentation s’est
appauvrie en nombre d’aliments. Plus de 50% de la surface cultivée sur la
planète l’est par quatre cultures, le blé, le riz, le maïs et le soja. En France, c’est
pire. Sur 14 millions d’hectares cultivés, le blé et le maïs représentent 8
millions 500 milles hectares et 1 million pour le colza. Je crois que 90% de
l’agriculture est partagé par sept
plantes. Avec cela, ce sont aussi les sols qui ont changé. Il n’y a aucune
comparaison possible entre une tomate qui pousse en pleine terre et une tomate
sous serre, alimentée aux éléments nutritifs, qui pousse avec un goutte à goutte.
Pouvons-nous revenir
en arrière aujourd’hui ?
Pierre Weill : Oui, je pense. Des biochimistes américains
disaient déjà en 1986 aux industriels « Si vous ne changez pas dans les
champs aujourd’hui, nous créerons des problèmes que l’on ira soigner en
pharmacie dans 20 ans ». Les industriels se dégageaient de toutes
responsabilités, invitant les scientifiques à convaincre les consommateurs en
répondant « lorsqu’il y aura la demande, nous changerons ».
C’est ce qui est en
train de se produire ?
Pierre Weill : Dans certains cas, oui ! Mais pas assez.
Aujourd’hui, ceux qui ont le pouvoir sont moins les industriels que les
distributeurs qui pratiquent la politique du sablier. Pratiquer de petits prix
attractif et créer une vitrine avec un petit rayon bio. Cette façon de faire
creuse l’écart entre ceux qui ont les moyens de consommer et ceux qui vont se
retourner systématiquement sur du premier prix.
Ça veut dire qu’il
faut urgemment prendre conscience que l’alimentation est notre premier
médicament ?
Pierre Weill : C’est même incroyable qu’on soit obligé de le
dire. On le dit parfois de façon brouillonne.
Si vous deviez faire
passer un message, comment vous y prendriez-vous ?
Pierre Weill : Si j’avais le droit de dire ce qui est
interdit aujourd’hui, je conseillerais de choisir des produits issus d’une
agriculture à vocation de santé. Nous avons aujourd’hui des moyens de mesure de
la qualité d’un produit, de connaître la quantité d’oméga 6, d’oméga 3,
d’antioxydant de polyphénols. A partir du moment où l’on peut tracer les
origines, la culture et les composant d’un aliment, nous devrions avoir le
droit de l’étiqueter « aliment issu d’une agriculture santé ». Il
m’est arrivé à plusieurs reprises de faire passer ce message auprès de
ministres de l’agriculture. Nous avons besoin qu’ils nous aident à distinguer
les bons aliments, ceux qui vont nous permettre d’avoir une meilleure santé.
Qui est, finalement,
responsable de notre dérive alimentaire et de notre santé décroissante ?
Pierre Weill : Globalement, c’est nous. La politique
agricole commune, dans les années 60 était déjà très claire. Son objectif était
de baisser le budget alimentaire des ménages. A l’époque 50% du salaire était
réservé à la nourriture, aujourd’hui c’est 13%. Maintenant, chercher le prix le
plus bas pour s’acheter le dernier model de téléphone portable ou la dernière
console de jeu n’a plus de sens. En écoutant les consommateurs, ils vous
disent que le développement durable et l’environnement va peut-être nous sauver
car les enfants l’apprenne à l’école. Ils en parlent à leurs parents et cela
peut induire un nouveau mode de consommation.
Interview réalisé par
Florent Lamiaux
Média + : « Tous gros demain ? » de
Pierre Weill (Editions Plon)